COURS: Penser contre soi-même

Site: Université Lyon 2 - Moodle Ouvert
Cours: Décodoc
Livre: COURS: Penser contre soi-même
Imprimé par: Visiteur anonyme
Date: dimanche 20 juillet 2025, 10:48

Description

ce cours comprend plusieurs pages

La désinformation n'est pas seulement dans les informations elles-mêmes,  elle agit aussi dans celui qui les reçoit: nos réflexes de pensée nous écartent bien souvent de la rationalité.

1. Éloge du décentrement

Cette bannière donne le titre général (penser contre soi-même) ainsi que celui de cette partie : éloge du décentrement

Les sciences sociales, au premier rang desquelles l'anthropologie, nous invitent à considérer le caractère relatif de notre point de vue individuel.
 
Le premier filtre entre nous et la réalité "factuelle", c'est l'épaisseur de notre culture: notre façon de penser est construite sur une multitude de paramètres et de valeurs, issus de réalités sociales, économiques, historiques, de systèmes de valeurs et de représentations dont nous n'avons pas ou peu conscience. mappemonde plaçant l'Australie au centre, et l'hémisphère sud en haut
Nous avons une tendance naturelle à nous penser au centre du monde. Et il en est de même pour celui qui émet et diffuse l'information !  Or dans un monde globalisé, les informations circulent à toute vitesse sur la planète: avoir conscience de sa position évite souvent d'interpréter trop vite une information vue depuis une réalité et un système de valeurs différents.
 Ci-contre: une carte du monde vu depuis l'Australie.
 
Questionner son point de vue peut être utile : quelle est ma classe sociale ? ma génération ? quelles sont mes valeurs et mes préférences ?  où se situent mon intérêt et celui de ma classe sociale ? du moins connaître mieux certains filtres informationnels qui sculptent notre vision du monde.
Cela ne signifie pas, pour autant, juger que tout se vaut : dans ce dernier cas, on tomberait dans le "relativisme" : attitude cognitive souvent utilisée dans les rhétoriques complotistes. Par exemple : si aucune échelle de valeur n'était pertinente pour juger de la qualité d'une information, on serait en droit de dire que les rapports des scientifiques du GIEC équivalent aux prédictions de Nostradamus. On voit vite le danger de cette approche...

2. Biais cognitifs !

Cette bannière donne le titre général (penser contre soi-même) ainsi que celui de cette partie : biais cognitifs
Pour traiter la masse d'information que nous recevons, le cerveau a besoin d'agir vite.

Le psychologue Daniel Kahneman décrit un fonctionnement à deux vitesses:
  • pour l'information "courante, le cerveau est contraint d'utiliser le "système1" qui repose sur notre système intime de croyances, intuitions, et autres réflexes automatiques permettant d'aller vite.
  • Le "système 2" serait purement rationnel, analytique et froid. Trop complexe et trop coûteux en temps pour que nous l'employions couramment, c'est pourtant lui qui permet de se forger des idées rationnelles.

Les biais cognitifs

Dans le système 1, de nombreux biais cognitifs viennent perturber l'information: il s'agit de distorsions dans le traitement de l'information. Ils nous éloignent d'une pensée rationnelle. Décrits et analysés par les neuroscientifiques, ils sont très nombreux (voir ici la carte de tous les biais cognitifs identifiés). Parmi les plus connus : 

  • l'effet d'ancrage : c'est notre tendance à rester sur la première impression ou idée que nous avons eu sur unl'acteur Nicolas Cage sujet
  • l'effet Dunning Kruger : c'est le fait que les moins qualifiés dans un domaine surestiment paradoxalement leur compétence
  • la confusion entre corrélation et causalité : savez-vous qu'il existe une corrélation entre le nombre de morts par noyades en piscine et le nombre de films tournés par Nicolas Cage ? La corrélation entre des données statistiques ne signifie pas qu'il y ait un lien de cause à effet. Lorsqu'un article indique que le chômage a augmenté à partir du moment où les femmes ont travaillé : ce n'est pas lié ! Ce site donne de nombreuses corrélation étonnantes entre des faits qui n'ont strictement aucun lien entre eux
  • le biais du survivant : c'est le fait de concentrer son attention sur des éléments ayant survécu ou réussi quelque chose, et donc exceptionnels, pour en tirer des généralités fausses. Par exemple : considérer que les monuments d'autrefois sont mieux conçus et plus solides que ceux d'aujourd'hui en ne considérant que les bâtiments ayant survécu. Ou encore : lorsqu'un enseignant considère que c'est facile de réussir, parce qu'il est lui-même un élève "ayant réussi".
(image: Nicolas Cage, par Nicolas Genin, Wikipédia)

3. Le biais de confirmation

Cette bannière donne le titre général (penser contre soi-même) ainsi que celui de cette partie : le biais de confirmation

Dans le monde numérique, le biais de confirmation est sans doute le plus redoutable des biais cognitifs que nous ayons à affronter.

Qu'est-ce que le biais de confirmation ?

C'est la tendance que nous avons à sélectionner les informations qui vont dans le sens de ce que nous croyons (ou voulons croire) et à interprèter les informations dont nous disposons pour les faire parler en faveur de nos hypothèses favorites. Les recherches en psychologie montrent cette tendance à d'abord chercher des informations et tester des hypothèses allant dans le sens de nos croyances initiales.

Pourquoi est-il particulièrement piégeux en contexte numérique ?

La bulle de filtre ou bulle informationnelle

Les algorithmes des moteurs de recherche et des réseaux sociaux chercbulle de savonhent, pour des raisons économiques, à capter notre attention : plus nous restons sur leur plateforme, et plus ils engrangent de revenus publicitaires. Pour cette raison, ils cherchent à nous proposer des contenus qui, en s'appuyant sur nos navigations antérieures, correspondent au mieux à nos désirs.

Ils créent autour de nous ce qu'on appelle une "bulle informationnelle" ou "bulle de filtres" : un environnement d'informations spécifiquement conçu pour nous plaire et nous retenir. Nous ne décidons pas ce qui est dans cette bulle, ni ce qui en est rejeté : les algorithmes s'en chargent à notre place.

Algorithmes et biais de confirmation

Dans cet environnement, le biais de confirmation est une véritable bénédiction pour les plateformes numériques: les algorithmes alimentent en permanence ce mécanisme et, sans nous en apercevoir, nous recevons presque exclusivement des informations qui nous confirment dans notre vision du monde.

Eric Schmidt, patron de Google, prévenait dès 2010 à ce sujet: "Il sera très difficile pour les gens de regarder quelque chose ou de consommer quelque chose qui n'ait pas été, d'une manière ou d'une autre, conçu spécifiquement pour eux." (Wall Street Journal, 2010).

(image: par fellowship of the rich, flickrthecommons)



4. Subjectif, mais éclairé !

Cette bannière donne le titre général (penser contre soi-même) ainsi que celui de cette partie : subjectif, mais éclairé

Il est illusoire de s'imaginer penser de façon neutre et objective. En revanche, il est possible d'essayer de limiter les risque inhérents à notre subjectivité.

Identifier les moments cruciaux :

Sur des sujets sensibles, ou dans des contextes particuliers et surtout dans le cadre de mes études et mes travaux universitaires, je dois sortir de ma routine du traitement d'information : c'est le moment où jamais pour utiliser le "système 2" de ma pensée, chercher des informations sourcées, les analyser patiemment, remettre en question mes croyances et mes convictions initiales.

Suspendre son jugement

La dimension émotionnelle aggrave et accélère souvent la désinformation : par colère, émotion, etc, nous sommes prompts à rediffuser une information, à surréagir, commenter, etc sur des sujets que nous maîtrisons mal. Suspendre son jugement c'est décider de ne pas décider immédiatement face à une information, accumuler prudemment des éléments à charge et à décharge avant de "croire" ou non. De même, attendre avant que de rajouter du bruit au bruit est une bonne solution pour ne pas participer au cycle de la désinformation.

Cultiver l'art du doute :capture de la chaîne youtube hygiène mentale

Douter est difficile : cela implique d'aller contre soi, renoncer au confort de ses croyances mais être aussi sûr de ses valeurs et savoir aussi bien distribuer sa confiance. Cela peut s'apprendre. Mieux connaître le fonctionnement de notre pensée, en déjouer les pièges, c'est le premier pas vers une information plus consciente et plus libre.
L'art du doute a un nom: la zététique. Il existe de nombreuses ressources à ce sujet, comme la passionnante chaîne Hygiène Mentale (capture ci-contre). N'hésitez pas à travailler ce muscle !
 

Briser la bulle !

Pour contrer le biais de confirmation, rien de tel, encore et toujours, que d'aller voir AILLEURS : sortir de son réseau favori, trouver d'autres sources ou personnes-ressources que vous jugez en désaccord avec vos idées mais fiables et sincères. Le désaccord, le dissensus, le débat sont féconds, s'ils sont de bonne foi !
 
 
 
(image: Christophe Michel / chaîne Hygiène Mentale)